
Cinéma Cinéma
Il faut vraiment être d’un optimisme total ou d’une inconscience à toute épreuve pour en arriver à supporter certains films. Je ne parle pas de la qualité, mais du style. Moi, les films sur la Mafia me filent le bourdon. Ceux qui traitent des quart-mondistes du nord de Marseille aussi. Probablement parce qu’ils sont sans doute véridiques. Et je ne parle pas des séries policières qui racontent toujours la même chose et qui ne sont diffusées que pour rassurer le cadre moyen après sa journée de travail et le conforter que chez lui, en fait, ça ne va pas si mal…
Mais in extenso, je crois qu’il faut un équilibre personnel inaltérable pour ne pas somatiser en voyant certaines scènes qui, d’autant plus si elles sont réussies et réalistes, vont me casser le moral pour le restant de la soirée qui suit, voire la nuit, voire la semaine (rayez les mentions inutiles).
Bon, pour « Jurassic Park », vu l’éventualité qu’une telle chose se produise, je n’avais à priori rien à craindre… Mais qui sait.
Plus sérieusement, à propos de vérité cinématographique (et pour faire un grand écart artistique) les aléas de notre actualité humaine sont souvent reflétés avec grandiosité, et d’une manière tellement imparable qu’on ne peut que les croire vraiment vrais une fois sur grand écran. Et il y a un « mur médiatique » qui influence par sa propre puissance de façon durable l’opinion publique : le Cinéma Américain. Ou l’anti-opinion, par phagocytage visuel de la réalité.
Prenez par exemple les méchants indiens. Avant les années 70 et surtout le très beau film – même si hollywoodien quand même « Danse avec les Loups » – les pauvres Sioux ont traversé les décennies comme les séculaires grands méchants du territoire, opposés à l’effort expansionniste yankee du 19e siècle qui était, après tout, merde, bien légitime ! Et on est bien contents qu’ils se soient un peu défendus, sinon John Wayne n’aurait jamais percé sous Ronald Reagan. Ou l’inverse…
Combien, sur une quantité incroyable de westerns (il y en a eu environ 2700, vous pouvez vérifier) ont été en réelle opposition au principe ? Énorme, la masse des mauvais films, stéréotypés, formatés, depuis les premiers du temps du muet jusque dans les années 60 (période flower-power durant laquelle il semble que les metteurs en scène aient commencé à se poser quelques questions).
Dans un genre parallèle, « Autant en emporte le vent » a très bien vécu sa carrière de chef-d’œuvre déclaré, avant qu’on en vienne à stigmatiser le film de ce qu’il était (d’après le roman qui l’était lui-même) : raciste, impérialiste, pas très nuancé… Un des plus gros succès de l’histoire du cinéma, il va désormais être enrichi d’une séquence de contextualisation pour expliquer les « préjugés » présents dans le long-métrage (et long, c’est le mot !). En attendant, certaines plateformes de distribution l’ont provisoirement retiré de leurs listes. Hors contexte historico-social, ce qui passait en 1939 fait tache dans les années 2020. Ça aura juste pris 80 ans…
La Guerre Froide a eu aussi sa part de gloire. Je parle de celle des années 50-60-70-80. Punaise, 40 ans, il y avait de quoi exploiter ! En revanche – si j’ose dire – je ne parle pas de celle qui recommence depuis 1 mois. Et qui d’ailleurs est moyennement froide. Plutôt tiédasse. Ça dépend dans quel camp on se place.
Le Vietnam a fait effet d’exutoire ; ou d’autocritique. Peu importe les Vietnamiens eux-mêmes, très peu présents dans les images, c’est plutôt l’héroïsme – ou l’anti héroïsme américain – qui y est relaté. Que ce soit « Apocalypse Now » ou « Platoon », celui qui souffre, c’est toujours l’américain. Et d’ailleurs, Rambo, critique ou apologie ? Ça dépend là aussi dans quel camp on se place – ou dans quel pays se trouve la salle de cinéma.
Dans les années 90/2000, la tête de turc – excusez du peu – sera plutôt le sud-américain, les cartels de la drogue (les méchants mexicains qui vont intoxiquer les gentils américains). Après la (les) guerre(s) en Irak, ce seront les méchants arabes contre des gentils GI…
Alors « propagande », le cinéma, sous des couverts de culture défoulatoire ? Pire : c’est souvent involontaire, voire inconscient ; et d’autant plus efficace. Car est-ce le produit qu’on formate pour le public, ou est-ce le public qui finit par être formaté par les productions, et qui va les prendre pour la seule vérité ?
Le manichéisme américain n’atteindra pas l’hypermanichéisme russe ? Chez ces derniers, plus c’est gros, plus ça passe. Mais bon, faut comprendre, depuis Eisenstein, ça fait partie de leur patrimoine, c’est presque un sport national ; on va pas commencer à dire la vérité au peuple, il ne comprendrait plus ! Mais chez les amerloques c’est pas mal quand même… D’ailleurs la plupart du temps les différents personnages d’un film sont choisis en fonction du degré d’identification que le spectateur peut avoir avec eux ; on aura un « savant » mélange sociétal de blancs, de noirs, de gens riches ou pauvres, alcooliques ou propres sur eux, désabusés ou nationalistes. Large spectre, tout le monde peut s’y retrouver. Revoyez « Independance Day » pour en être convaincus !
– Independance Day, un film léger, et pas représentatif ! Alors, quoi ! (voyez, je me mets à votre place…)
Bon d’accord… Alors parlons de « JFK ». Comme « Platoon », un film également de Oliver Stone. « JFK » pour rappel, traite de l’assassinat de J. F. Kennedy, toujours pas vraiment élucidé publiquement.
Le réalisateur joue sur la confrontation entre images d’archives et images de fictions « qui se font archives ». On se retrouve dans une structure de présentation, structure dans laquelle il n’y a plus de discernement, et où les « vraies images » finissent par justifier la présence des autres qui elles, sont fiction, voire va les légitimer. Et d’en tirer des conclusions qui ne sont que des prospectives, hélas.
Ah oui ! Mais je vous vois venir :
– L’Histoire va forcément tirer ses propres réelles conclusions, avec le recul.
Sauf que lorsqu’Elle continue à s’interroger, pendant ce temps tout est possible…
Alors altérations historiques involontaires ou distorsions à la sauce Hollywood ? Je serai curieux de voir ce qu’ils vont nous faire après la guerre en Ukraine. Bah, l’essentiel est qu’ils nous mettent en début de film « Basé sur une histoire vraie ». Là, on est tranquille… Oui vous allez aussi me dire qu’il n’y a pas que Hollywood qui produise à la queue-leu-leu des films phagocyteurs. Tous les pays l’ont fait à tous les moments de leur propre histoire. Sauf que eux ont des moyens illimités et une habileté hors-pair pour les réaliser.
Vous connaissez l’Échelle de Jacob ? (oui, je cite la Bible de temps en temps, ça fait pas de mal, on sait jamais…) :
Jacob fait un rêve, qui est à interpréter : une échelle entre la terre et le ciel avec des anges qui montent et qui descendent. La clé de lecture est que le ciel pour la Bible, c’est le domaine de Dieu, le spirituel, et la terre, c’est le matériel, le domaine de l’humain.
Les Américains, avec leur cinéma, ont réduit cette échelle à la taille d’un escabeau. Comme le dit le journaliste à la fin de « L’Homme qui tua Liberty Valance » (tiens, un western !) :
– C’est l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende ! »
Pour finir, je reprends à mon compte une phrase célèbre : avant l’invention du cinéma à grand spectacle, on pouvait encore prétendre que « l’Histoire était faite par les vainqueurs ».
Désormais, elle va l’être par Netflix…
Décidément ! Tout dépend dans quel camp – de Sioux – on se place…