
Bis Repetita
Il a des obsessions qui sont productrices, d’autres qui sont dégénératrices.
Ajouté à ça, la mauvaise foi est-elle un syndrome typiquement féminin ?
– Nooooooonn ! » crient les lectrices
– Ouiiiiiiiiiiiiii ! » crient les lecteurs.
Croyez-moi, on n’en sortira pas…
Car ça avait commencé comme ça :
– Chéri ! J’ai grossi !
Elle se contorsionnait devant la glace pour arriver à voir son dos malgré la position, pas simple. Enfin, le bas de son dos. Car c’est l’objet du délit, de la concentration de l’Angoisse, du Mal du Moment, le Summum de l’inquiétude physiologique. Le tour de taille a bougé sensiblement, et la fin du monde, que dis-je, l’Apocalypse est proche !
– Chéri, j’ai vraiment grossi !
Vu qu’elle m’avait dit la même chose, la veille, l’avant-veille, l’avant-avant-veille (rajoutez autant « d’avant » que vous voulez), je finissais par ne plus répondre. Ou par changer de pièce, pour aller dans un endroit sans aucune glace ni miroir. Quitte à fermer les volets et faire le noir partout pour éviter tout éventuel reflet dans une vitre qui aurait entretenu le processus. Quand on a répondu une ou deux fois à une injonction verbale qu’on sent lourde de conséquences, continuer à répondre – surtout la même chose – ne fait qu’empirer la situation.
Nous (les hommes) avons quand même une certaine logique, peu préhensible par la gent féminine : si « on » a grossi le Lundi, il y a peu de chances que le Mardi les choses soient différentes. Même à Lourdes, ça ne peut pas marcher aussi vite !
– Chériiiii ! J’ai grossiiiii !
Que répondre ?
Option A : Oui
Option B : Non
Option C : Entre les deux (dubitatif)
Option D : Régime ?
Option E : Anneau Gastrique ?
Option F : Séparation ?
Laquelle des possibilités proposer pour ne pas vexer l’intéressée, rester honnête avec soi-même un minimum et aux yeux de la postérité, et éviter de se gâcher le week-end en transformant la discussion en un champ de mines Ukrainien suite à la confraternelle visite des Russes ?
Ne surtout pas croire pouvoir s’en sortir en éludant le problème ! Une réponse du type « Maisnonmaisnon tu es splendide et je t’aime complètement à fond la caisse for ever and ever » déclenchera automatiquement une salve de représailles verbales du type « orgues de Staline » (sorte de batteries de missiles sol-sol utilisées par les Russes – encore eux ! – déclenchées par salves, d’une efficacité redoutable et d’une sonorité reconnaissable à des kilomètres à la ronde durant la retraite des troupes allemandes après l’hiver 44). C’était dire mon inquiétude…
– Tu ne me regardes plus ! / Tu t’en fous du moment qu’on baise ! / C’est ta faute, on n’arrête pas de sortir, de manger, de picoler ! / Tu vois, c’est concentré là ! / Moi il faut que je maigrisse sinon c’est plus la peine !! (la peine de quoi ??)
(…………)
Après le tir de barrage, j’émergeais des décombres, je hissais le drapeau blanc, et je proposais un statu quo sous la naïve forme suivante :
– Mais, mais, tu me l’as déjà dit 74 fois en deux jours ; que veux-tu que je te réponde d’autre ??
Partagée entre la culpabilité (tu parles !) et le désir de revanche, (plus probable !), elle me répondit :
– Mais ton attitude ne me rassure pas sur ma situation ! »
Car il fallait que je rassure, en plus d’acquiescer ou de contredire. Pas facile !
Moi – Mais je te dis que ce n’est pas grave et que ça va s’arranger mais tu ne me crois pas !
Elle – Ah donc, tu vois bien que j’ai grossi !
Moi – Mais alors pourquoi me le demandes-tu ?
Elle – Parce que je voudrais être sûre que je vais remaigrir ! »
Vraiment, on n’en sortait pas.
Dans ces cas-là, je pense à Kafka… Je deviens un des personnages du « Procès » ou du « Château », perdu dans un système administratif implacable, cette fois, de réflexion féminine.
Je tentais alors une dernière remontée à la surface (du bunker) :
– Note que j’aurais pu te dire : « Chérie tu as ENCORE grossi ! Mais ce n’est pas grave, tu vas ENCORE REmaigrir ! ». Je me baissais de justesse pour éviter le fer à repasser qu’elle lança dans ma direction et qui s’encastra dans le mur derrière moi.
Elle a peut-être grossi, mais l’ennui, c’est qu’elle aussi pris des muscles…