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Dégoutation

Oh, je sais, vous vous dites « Après ce qu’Il nous a balancé la dernière fois, ce coup-ci Il va faire plus simple, aller dans la déconnade facile, le quotidien gentillet, etc, etc… ». (tiens vous avez vu j’ai encore mis des majuscules).

Et puis quoi encore ? Si le masochisme latent qui vous pousse à me lire – ainsi qu’à acheter en ligne pour une somme dérisoire le superbe recueil, toujours en vente (cliquer ici) – est tel que vous en reprenez malgré les méchancetés que je vous balance avec la célérité d’un livreur en scooter de pizzas (Buitoni, spéciale salmonelle), en espérant que si ça ne fait pas effet tout de suite, la nuit ou le jour suivant vous y aurez droit (au retour de réflexion, pas à la chiasse carabinée, j’espère que vous suivez…).

Même si je ne peux pas faire dans la théo-sociologie éducative tout le temps… Alors on est reparti vers le concret, vers le bon pamphlet. Pardon, vers le « Joli Pamphlet »… Ne pas hésiter à optimiser les termes, sinon on n’est pas à la mode ! Et pas être à la mode, de nos jours…

« O combien d’adjectifs, O combien de marins, combien de capitaines, Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines… » (koff koff, pardon, je diverge)…

Car parlons-en des adjectifs ou autres adverbes de notre quotidien. A commencer par les journalistes, qui popularisent au travers des médias la novlange de rigueur. Fin du journal télévisé et le Delahousse nous assène son « Passez une Belle journée » !  Ou soirée, en fonction de l’heure. Et si le « Passez une bonne soirée » annoncé par des générations de speakerines a fait place maintenant à « Belle Soirée », c’est plutôt pour essayer de donner des lettres de noblesse à un train-train qu’on optimise pour vous. La simple évocation du « beau » est censé faire rêver, alors que le « bon » le ramène à la soupe quotidienne qu’on avale parce qu’il faut bien se nourrir (tiens, la pizza se profile à l’horizon…). Ça donne le sentiment à l’interlocuteur que les mots ont été choisis soigneusement pour lui, sauf que la répétition finit par banaliser aussi, voire agacer.

Et le « il a cessé de vivre » ? Qui heurte moins que le « décédé », « mort », car dire « il a perdu la vie » c’est mieux que « il a trouvé la mort », même si c’est pareil…

« Au-delà du style ou de la mode, il y a le sens, et le sens des mots. Le beau se réfère à l’apparence esthétique, à ce que l’on voit, ce qui plaît à l’œil. Le bon se réfère au goût, à la qualité d’un produit, ou, pour une personne, à ses aspects moraux », analyse ainsi la professeure de management Isabelle Rey-Millet.

Ainsi « l’eau pétillante » à remplacé « l’eau gazeuse ». Le « Bonne dégustation ! » a remplacé le « Bon appétit », trop peuple sans doute, et jusque dans les plus limites restos monégasques où on vous sert une tomate/mozza à 25 euros les 3 rondelles, pour vous faire croire que vous mangez quelque chose de fantastique ! Vive l’Euphémisme qui transforme sa journée ! Et donc, du plat du jour à la soirée devant la TV, de l’arrivée au bureau jusqu’au retour dans le train le soir, ennoblissons tous les instants de notre vie !

Eh oui on veut vous faire croire que le moment que vous allez passer va être exceptionnel. C’est normal, n’êtes-vous pas vous-même un être d’exception ? Il faut que ce soit ainsi, sinon, ce n’est pas vendeur dans un monde ou l’exception ne confirme plus la règle… Mais s’agit-il vraiment d’euphémisme, ou de ses dérivés, que sont les antiphrases, litotes, contrevérités, demi-mots, périphrases ? Ou plutôt une navrante stratégie pour faire passer la fameuse pilule du jour qui passe ? D’humidifier le suppositoire pour qu’il glisse mieux ? De lubrifier le forceps ? De mouiller la compresse de la vie quotidienne ? (j’arrête là les images, car je risque de tomber dans le trivial obscène, et ce ne serait pas votre genre, joli lecteur…).

Et in extenso on parlera de « senior » plutôt que de « vieux »…. De « polyphonie corse », plutôt que « couïnage tribal insulaire ». De « grand-mère de ses enfants » plutôt que de sa « belle-mère » (je vous ai déjà parlé de la mienne ?). Bon, il y aura toujours des sujets plus ambivalents : pourra-t’on encore dire « Belle gueule » à la place de « Bonne gueule » sans en dénaturer justement le sens ? Dire « Belle guerre » ou « Bonne guerre » ? « Belle bourre » ou « Bonne bourre » ?

Quant aux d’jeunes qui ont leur propre code vestimentaire et verbal : « Frérot » a remplacé « mec » ou « mon copain ». Le « C’est clair ! » des années 2000 est remplacé par le « voilà » qui ponctue la plupart des fins de phrases de ceux qui n’ont pas de vocabulaire, ou pas assez de présence d’esprit… « Boloss, se la péter, kiffer, la teuf, se faire pécho » et j’en passe. Nous noterons une grosse différence : pas d’enjolivement. C’est normal, ce sont des jeunes, ils ont le temps pour eux et pas encore de responsabilités. Mais les adultes, eux, ont besoin d’être rassurés…

Alors ringardisons les anciennes expressions, ça nous fera un monde tout neuf !

Quant au titre de ce pamphlet, lui-même, ce n’est pas un néologisme, mais un terme qui apparaît déjà dans quelques textes du 19e siècle. Juste pour préciser que je ne me fous pas de vous quand je disserte…

Faudrait pas déconnationner quand même !